Face à l’hypothèse augurée d’un « hard Brexit », et, par conséquent, d’une sortie de la Grande Bretagne de l’Union européenne sans même se maintenir dans l’espace économique européen, le sort des cabinets d’avocats britanniques installés en France et notamment à Paris est un sujet majeur, pour lequel il ne faut pas pour autant tirer de conclusions alarmistes.

Sans revenir de façon détaillée sur le droit positif permettant l’installation des cabinets anglo-saxons à Paris, rappelons simplement que la directive 98/5/CE offre la possibilité à tout avocat ou toute société d’avocats exerçant dans un pays membre de l’Union Européenne, de s’établir dans un autre État membre, sous son titre d’origine. Au surplus, l’article 11 de cette même directive prévoit la possibilité d’exercer en groupe par le biais d’une structure d’exercice, soit par l’établissement d’une succursale dans l’État membre d’accueil (le cas des Limited Liability Partnership), soit par le recours à une structure d’exercice de droit interne.
Le Brexit ferait alors perdre aux avocats britanniques le bénéfice de cette directive européenne, puisque la condition de son application est l’appartenance de l’État d’origine à l’Union Européenne.

Au vu de de la chronique annoncée d’un « hard Brexit », certains évoquent des hypothèses radicales, estimant notamment que les LLP inscrites au barreau de Paris seront contraintes de fermer leurs bureaux parisiens, désertant la place parisienne.
Ce pessimisme doit être tempéré à plusieurs titres.
La réalité n’est-elle pas plutôt à traiter en fonction de la théorie des droits acquis, selon laquelle il est impossible de retirer à une personne, fût-t-elle morale, un droit entré dans son patrimoine de façon durable ? En sus de l’analyse purement juridique, l’analyse économique démontre clairement qu’il est sans doute excessif de penser que les cabinets d’avocats anglo-saxons installés à Paris ne pourront plus être en mesure d’y exercer.

Rappelons à titre d’exemple que lors de la fusion des avocats et des conseils juridiques, les droits acquis ont été préservés. En effet, antérieurement à la loi n°90-1259 du 31 décembre 1990, des cabinets anglo-saxons (tant britanniques qu’américains) étaient installés à Paris sous le bénéfice des dispositions propres à la profession de conseil juridique. Le législateur, soucieux d’appréhender le sort de ces entités, a permis leur intégration en tant que conseil juridique en leur demandant de régulariser leur situation. De cette façon, la loi a opéré une reconnaissance des droits acquis en maintenant ces cabinets sur le sol français.
D’autres imaginent une temporalité s’appliquer au processus, prévoyant trois périodes différentes : celle qui précède le déclenchement de l’article 50 par le Royaume Uni, la période entre le déclenchement et la sortie effective, et enfin la période post-brexit. Or, raisonner ainsi reviendrait finalement à nier les droits acquis ; ce qui paraît impossible puisque le texte des directives continue de s’appliquer à tous jusqu’à la sortie effective. Prévoir plusieurs temps distincts contreviendrait à la liberté de circulation qui constitue l’un des piliers de l’Union européenne.
Deux problématiques doivent alors être dissociées, celle du sort des structures d’exercice anglo-saxonnes et celle du sort des solicitors exerçant en France.

I- Le maintien des structures d’exercice anglo-saxonnes à Paris

Dans l’hypothèse où les droits acquis seraient préservés, aucune conséquence n’est à prévoir pour les cabinets déjà installés à Paris. Tout au plus, il pourrait être enjoint aux LLP de transformer leur structure d’exercice afin de s’adapter au droit français. La solution de l’Association d’Avocats à Responsabilité Professionnelle Individuelle (AARPI) pourrait sans doute être envisagée comme véhicule juridique permettant la pérennisation des cabinets anglo-saxons. Il s’agirait alors d’envisager l’habillage juridique d’une transformation de la branche parisienne de la structure en AARPI.
Des transformations similaires ont déjà été observées. En effet, des transformations de sociétés civiles professionnelles d’avocats en AARPI ont déjà pu être constatées au Barreau de Paris. L’opération juridique s’est traduite par une transformation constatée par la réunion de l’assemblée générale extraordinaire de la SCP, statuant d’une part sur sa dissolution et d’autre part sur l’appréhension par les associés de façon indivise de la clientèle et du matériel dont ils ont conféré la jouissance à l’AARPI. Le contrat d’ARRPI régissant la structure transformée expose alors dans son préambule, que cette nouvelle structure regroupe les mêmes associés que ceux de la SCP, et que le patrimoine de l’AARPI est repris. Cette reprise s’effectue à périmètre constant, dans la mesure où les associés de la précédente structure restent les mêmes que dans la nouvelle structure constituée. On observe une véritable substitution de l’AARPI à la SCP, l’AARPI reprend le patrimoine de la SCP.

De la même façon, la transformation des succursales françaises de LLP de droit anglais en AARPI pourrait être juridiquement envisagée. Au plan fiscal, et sous certaines conditions, cette transformation pourrait bénéficier d’un régime de neutralité. En effet, l’administration fiscale a déjà eu à commenter ces opérations de transformation et à acter sur la base des dispositions de l’article 151 octies C du Code général des impôts, que lesdites transformations pouvaient, en principe, ne pas emporter les conséquences attachées à une cessation d’activité. Ces opérations pourraient néanmoins être soumises à certaines obligations. Par ailleurs et afin de ne pas bouleverser les modalités de rémunération et de remontée des résultats, il faudrait que l’Ordre autorise un LLP de droit anglais à être membre d’une AARPI sans pour autant y exercer. En toute hypothèse et compte tenu du contexte, il est souhaitable que des discussions soient menées avec l’administration fiscale en parallèle de celles conduites avec l’Ordre afin de donner un maximum de sécurité aux opérations de transformations envisagées.
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