Commentaires des deux arrêts de la Cass.com du 1er juillet 2020 n° 19-12.067 Ste. CREAM F-D et 19-12.068 Ste. Beach House F-D.

Dans ces deux espèces, il s’agissait, en premier lieu, de déterminer la date à laquelle devait être appréciée la cessation des paiements du débiteur et, en second lieu, de prendre en considération la réserve de crédit, sous la forme d’apport en compte courant consenti, dans la première espèce, par le gérant de la société et, dans la seconde espèce, par un associé, sous la condition suspensive de l’infirmation du jugement ouvrant le redressement judiciaire. Cette problématique, assez courante en pratique en particulier dans les relations intra groupes, justifie un rappel du droit applicable et de la jurisprudence rendue en la matière.

1/ Les réserves de crédit et l’état de cessation des paiements.

L’article L 631-1 du Code de commerce dispose que « Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements. »

Dans les deux arrêts précités, les réserves de crédit étaient constituées par des apports en compte courant. Le compte courant d’associé constitue un crédit ou plus exactement un prêt, il reçoit la qualification de réserve de crédit au sens de l’article L 631-1 alinéa 1 du Code commerce dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté.

Selon une partie de la doctrine, l’apport en compte courant d’associé serait un passif exigible et non un actif disponible en l’absence de stipulations statutaires ou de convention prévoyant une période de blocage de la somme apportée en compte courant. cf. B.Saintourens sous Cass.com. 12.05.2009 n°08-13471 Rev.proc.coll.2009 comm.n°104.

Néanmoins, la Cour de cassation, même en l’absence de convention de blocage d’avances en compte courant entre l’associé et la société, considère que, dès lors que l’associé n’en demande pas le remboursement, l’avance en compte courant est un actif disponible de la société.cf Cass.com 12.05.2009.

2/ Les avances en compte courant : actif disponible ou financement artificiel.

Les apports en compte courant sont donc en principe considérés comme un actif disponible, à moins qu’ils constituent un financement anormal, qui contribuerait à maintenir l’entreprise en survie artificielle.

Dans les deux arrêts rendus le 1er juillet 2020, la Cour de cassation rappelle que la dissimulation au moyen d’un financement anormal, de l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible, s’apprécie au regard de la situation économique et financière du débiteur bénéficiaire de l’apport en compte courant.

Dans la première espèce, la Cour a relevé qu’au jour de l’ouverture de la procédure collective, la société holding employait deux salariés et ne recevait aucun dividende de ses filiales, que son chiffre d’affaires était constitué par de la vente d’alcool à ses sociétés filiales et par l’organisation de soirées évènementielles privées, que devant la Cour d’appel, la société n’avait produit aucun document prévisionnel récent en relation avec l’activité de holding et que la société n’établissait nullement ne plus avoir de charges courantes relatives à l’emploi des salariés et que par suite la société holding se trouvait sans besoin de fonds de roulement. La Cour de cassation a donc approuvé la Cour d’appel d’avoir retenu qu’il n’était pas établi que la société avait modifié les conditions de son activité, de sorte que l’apport en compte courant de son dirigeant constituait un financement anormal destiné à soutenir artificiellement la trésorerie en dissimulant la persistance de son état de cessation des paiements.

Dans la seconde espèce, la Cour après avoir rappelé que la Cour d’appel avait justement considéré que l’apport en compte courant consenti par le gérant de la société, fût-il suggéré par l’administrateur, constituait une réserve de crédit devant être prise en considération au titre de l’actif disponible, a retenu que la société ne disposait pas de compte bancaire, que le règlement de ses charges était opéré par son gérant ou par un tiers et que le compte courant du gérant était de 300.000 euros pour un capital social de 10.000 euros.

Dans ces deux espèces, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir écarté la qualification de réserve de crédit pour les apports en compte courant dès lors que l’état de cessation des paiements du débiteur ne pouvait que persister en l’absence de modification de ses conditions d’activité.

3/ L’appréciation par la jurisprudence du caractère artificiel de la réserve de crédit.

Si dans les deux cas d’espèce, c’est l’absence d’activité du débiteur qui a conduit la Cour de cassation à confirmer l’arrêt de la Cour d’appel, la jurisprudence rendue en la matière permet d’identifier quels sont les éléments qui peuvent conduire les juges à considérer que les avances en comptes courant présentent un caractère artificiel visant à masquer en réalité l’état de cessation des paiements du débiteur.

Il en va ainsi lorsque les avances en compte courant sont insuffisantes pour faire face au passif exigible cf.Cass.com.20.09.2005 04-14.808 inédit ; ou dans le cas de perte de crédit auprès des banques, dans cette situation, le financement de la trésorerie par les associés est révélateur de son anormalité cf. Cass.com 17.05.2011 n°10-30425 Sté.Atlancim Hirson c/Sté.Askéa Industries F .D .

En conclusion, la cessation des paiements reste une notion juridique même si la jurisprudence s’appuie sur certains éléments comptables pour caractériser l’état de cessation des paiements et apprécier la réalité du crédit constitué par l’apport en compte courant au regard de l’examen de la situation financière du débiteur et de son aptitude à redresser son activité.

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Corinne PILLET, Docteur en droit, est titulaire d’une licence LEA en anglais et en allemand et d’un DEA de droit international public et privé.
Elle a acquis une expérience professionnelle au sein du cabinet d’expertise comptable et de commissariat aux comptes, Berthon Rivière Latreille et Associés de 1988 à 1992.

En 1993, après avoir obtenu le CAPA, elle devient avocat au Barreau de PARIS et développe une activité de conseil en droit des sociétés pour les entreprises françaises et étrangères.

Ses domaines de compétence sont le droit des sociétés, les opérations de fusion et acquisition ainsi que les problématiques liées aux difficultés des entreprises. Elle dispose d’une expertise particulière en matière de litiges post acquisition et de conflits entre associés.

Eu égard à sa formation universitaire et à sa pratique professionnelle, Corinne Pillet a pour centre d’intérêts les relations internationales entre les acteurs économiques. Elle anime et participe à des colloques et des séminaires sur ces thèmes.

Ses langues de travail sont le français et l’anglais.