Par Corinne PILLET

L’actualité jurisprudentielle de l’année 2019 nous invite à éclaircir les conditions et modalités de mise en œuvre de la responsabilité des conseillers en gestion de patrimoine par leur client. 

En effet, le 1er avril 2019, la Cour d’appel de PARIS a confirmé le jugement du Tribunal de grande instance de PARIS ayant rejeté la demande en indemnisation intentée par le client d’un conseiller en gestion de patrimoine sur le fondement d’une recommandation de placement dans les produits proposés par la société ARISTOPHIL. 

Rappelons que la société ARISTOPHIL proposait à ses clients d’investir dans l’achat de parts d’indivision portant sur un ensemble de lettres et manuscrits anciens. Le gérant de cette société a été mis en examen le 4 mars 2015 pour pratiques commerciales trompeuses, escroquerie en bande organisée, blanchiment, abus de confiance et abus de bien sociaux et le Tribunal de commerce de PARIS a prononcé, le 5 août 2015, la liquidation judiciaire de la société. 

Le contentieux qui s’est élevé relativement à la liquidation de société ARISTOPHIL¹ a particulièrement mis en lumière les risques attachés aux recommandations de placement délivrées par les conseillers en gestion de patrimoine. 

  1. 1. Le conseiller en gestion de patrimoine bénéficie du statut de conseiller en investissements financiers

Les conseillers en gestion de patrimoine, terme générique, bénéficient du statut de conseillers en investissements financiers (CIF) instauré par la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière et réglementé par les articles L. 541-1 du Code monétaire et financier (CMF) et les articles 325-1-A à 325-47 du Règlement Général de l’Autorité des Marchés Financiers (RGAMF).

Aux termes de l’article L. 541-1 du CMF, les missions du CIF sont :

  • – le conseil en investissement (portant sur des actions, obligations, actions, parts ou actions d’OPCVM ou de FIA) ;
  • – le conseil portant sur la fourniture de services d’investissement ;
  • – le conseil portant sur la réalisation d’opérations de biens divers (ex : vin, œuvres d’art, etc…)
  1. 2. Présentation des différents régimes de responsabilités auxquels est confronté le conseiller en investissements financiers 

Dans l’exercice de sa mission, le CIF est susceptible de voir engager sa responsabilité suivant trois régimes distincts : 

  • – la responsabilité civile du CIF  devant le Tribunal d’instance, le Tribunal de grande instance ou le Tribunal de commerce ;  
  • – la responsabilité professionnelle ou disciplinaire du CIF devant l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) ou l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution ;
  • – la responsabilité pénale du CIF devant les juridictions pénales. 

Seul le régime de la responsabilité civile des CIF lorsqu’une action en responsabilité est intentée par un client est ici abordée.

  1. 3. Focus sur le régime de responsabilité civile du conseiller en investissements financiers 

En application des principes du droit de la responsabilité civile, le CIF engage sa responsabilité civile à l’égard de son client lorsqu’il commet une faute dans l’exercice de sa mission ayant directement causé un dommage à son client. 

La responsabilité du CIF sera de nature contractuelle en raison de l’existence d’un contrat conclu entre le CIF et son client (mandat de gestion, convention de conseil en investissement, etc…). 

    1. 3.1 Caractérisation de la faute pouvant être reprochée à un conseiller en investissements financiers

La faute pouvant être reprochée à un CIF par un client et susceptible d’ouvrir droit à réparation est de nature civile et consiste principalement en :

    • – un manquement aux obligations découlant de la convention conclue entre le CIF et son client ;
    • – un manquement au devoir d’information, de conseil ou de mise en garde ;
    • – un manquement aux obligations prévues par les articles L. 541-8 et L. 541-8-1 du Code monétaire et financier et par les articles 325-3 à 325-17 du RGAMF (dites « règles de bonne conduite »).

Précisément, dans le cas où il est reproché au CIF d’avoir recommandé à son client un placement financier qui s’avère ne pas répondre à ses besoins, le débat portera sur la question de savoir si le CIF a correctement exécuté son obligation d’information, de conseil ou de mise en garde. 

La charge de la preuve de l’exécution de cette obligation pèse alors sur le CIF.  

L’obligation d’information et de conseil impose au CIF de réunir l’ensemble des informations nécessaires concernant la connaissance et l’expérience du client en matière d’investissement afin de pouvoir lui recommander les opérations, instruments financiers et services d’investissement adaptés à sa situation (art. L. 541-8-1 COMOFI). 

Ainsi, le CIF doit informer le client des risques inhérents aux placements proposés, et notamment les risques de perte en capital (art. 325-35 RGAMF). 

Le devoir de mise en garde comporte un degré d’avertissement du client supérieur à l’obligation d’information et de conseil. Le Cour de cassation juge en effet que le devoir de mise en garde est lié au caractère spéculatif du produit proposé, imposant au CIF d’avertir le client des risques de marché. 

Dans un arrêt du 19 juin 2007², la chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi approuvé la Cour d’appel qui « a[vait] mis en évidence l’absence de caractère spéculatif » de l’opération en cause et a « à bon droit écarté l’existence d’un devoir de mise en garde à la charge de la banque vis-à-vis de son cocontractant ».

Précisément, dans son arrêt du 1er avril 2019, la Cour d’appel de PARIS a relevé, à propos des produits proposés par la société ARISTOPHIL, l’absence de caractère spéculatif en sorte que la conseiller en gestion de patrimoine dont la responsabilité était recherchée ne pouvait se voir reprocher un manquement à son devoir de mise en garde. 

Dans un communiqué de presse daté du 20 novembre 2014, l’AMF avait d’ailleurs précisé que les produits proposés par la société ARISTOPHIL étaient des « placements dits atypiques » qui n’étaient, alors, « pas soumis à la réglementation protectrice des instruments financiers »³.

En conséquence, la mise en œuvre de la responsabilité d’un CIF par un client pour un placement financier jugé défectueux suppose que le client rapporte la preuve d’un manquement du CIF à ses obligations issues du contrat le liant au client ou un manquement aux « règles de bonnes conduites » issues du COMOFI et du RGAMF ou, enfin, un manquement à son obligation générale d’information et de conseil ou à son devoir de mise en garde lorsque le placement proposé présente un risque de marché. 

En outre, la responsabilité d’un CIF s’apprécie à l’aune de la qualité « d’opérateur averti » de son client.

La Cour de cassation a ainsi jugé, à propos de la responsabilité d’un prestataire de services d’investissement (PSI), que « le prestataire de services d’investissement est dispensé de son obligation de mise en garde de son client s’il établit que ce dernier a la qualité d’opérateur averti »⁴.

La qualité « d’opérateur averti » du client s’appréciera alors suivant la technique du faisceau d’indices (activité professionnelle du client, âge, expérience en matière de placements financiers, diplômes, etc…) dont la charge de la preuve repose sur le CIF. 

    1. 3.2 Nature du préjudice pouvant être indemnisé par un conseiller en investissements financiers

Ne pourra néanmoins être indemnisé que le préjudice découlant directement du manquement imputable au CIF. 

Le préjudice indemnisable consistera principalement en la perte de capital éprouvée dans le cadre d’une recommandation qui s’est avérée erronée, ou encore le gain manqué par cette recommandation. 

Spécifiquement, dans le cas où le dommage allégué résulterait de la liquidation judiciaire de la société dans laquelle il a été investi sur recommandation du CIF, la Cour de cassation a développé une jurisprudence susceptible de restreindre le droit à indemnisation du client. 

La Cour de cassation a ainsi énoncé le principe selon lequel « seul le liquidateur d’une société soumise à une procédure de liquidation judiciaire a qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers en vue de reconstituer le patrimoine social et que la perte de valeur des actions ou parts ne constitue pas un dommage personnel distinct de celui subi collectivement par tous les créanciers du fait de l’amoindrissement ou de la disparition de ce patrimoine »⁵.

Ainsi, la perte de valeur des actions ou des parts sociales d’une société en liquidation ne constitue pas un dommage personnel distinct.

Transposée au cas d’une recommandation de placements financiers dans les actions ou les parts d’une société ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire, cette jurisprudence a pour effet de limiter le droit à réparation du client d’un CIF qui ne pourra pas obtenir indemnisation du préjudice tiré de la perte de valeur de ses actions ou parts investies. 

De plus, le préjudice indemnisable peut consister en la perte d’une chance définie comme la perte d’une probabilité favorable au client. 

La Cour de cassation a ainsi admis l’indemnisation du préjudice tiré de la « chance de mieux investir ses capitaux » à la suite d’un manquement d’une banque à son obligation d’information, perte d’une chance qui « constitue un préjudice distinct de celui qui résulte des opérations effectivement réalisées ». 

Encore, la perte de chance peut consister en la « chance d’échapper, par une décision peut-être plus judicieuse, aux risques qui se sont réalisés »⁷. 

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¹CA PARIS, Pôle 5, Chambre 10, 1er avril 2019, RG n° 18/02284

²Cass. Com., 19 juin 2007, pourvoi n° 05-22.037

³Communiqué de presse de l’AMF du 20 novembre 2014 : précision de l’AMF suite au communiqué diffusé par la société ARISTOPHIL le 20 novembre 2014.

Cass. Com., 10 novembre 2015, pourvoi n° 13-21.669

Cass. Com., 28 janvier 2014, pourvoi n° 12-27.901, jurisprudence constante.

Cass. Com., 9 novembre 2010, pourvoi n° 09-69.997

Cass. Com., 12 juin 2012, pourvoi n° 11-20.303